Commerce avec la Chine : la question des règles du jeu équitables
Introduction
La politique économique et commerciale chinoise pose, depuis de plusieurs années, de nombreux défis à l’industrie européenne. Un point d’inflexion a été atteint avec la politique de Xi Jinping, en particulier avec le Plan « Made in China 2025 » de 2015, qui se concentre sur le rattrapage technologique de la Chine. Avec ce plan et d’autres instruments de politique économique, basés sur un recours massif à l’investissement public sous forme de subventions, les entreprises chinoises de l’industrie en général et du secteur des industries mécaniques en particulier sont devenues des concurrentes de plus en plus agressives sur le marché mondial.
En 20241 , la Chine reste le premier pays soumis à des mesures de défenses commerciales européennes (antidumping ou antisubventions), avec 118 mesures définitives sur 191 en vigueur. Ces mesures concernaient jusqu’à présent majoritairement des produits sidérurgiques ou des produits chimiques, en amont de la chaîne de valeur industrielle. Les deux dernières années (2024 et 2025) ont vu la mise en place de mesures instituant un droit compensateur sur les importations de produits plus en aval de la chaîne de valeur, en particulier pour les véhicules électriques et pour les plateformes élévatrices mobiles, ce dernier produit relevant des industries mécaniques, originaires de Chine.
En second lieu, la politique commerciale américaine de l’administration Trump, en particulier vis-à-vis de la Chine, fait peser aujourd’hui un risque pour l’industrie européenne de « trade diversion », c’est-à-dire un risque de déversement dans l’Union Européenne de produits chinois initialement destinés au marché américain, désormais pratiquement fermé aux exportateurs chinois du fait de droits de douane très élevés. Ce déversement peut aussi s’effectuer dans des pays tiers, réduisant ainsi les exportations européennes vers ces pays.
Ces deux éléments structurels sont de nature à considérablement affaiblir le tissu industriel de l’Union Européenne et requièrent des mesures spécifiques
Constat
Le fonctionnement de l’économie chinoise, générateur de surcapacités de production
Le développement économique chinois a été largement basé sur un modèle particulier du capitalisme : le capitalisme d’état.
Structurée autour des plans quinquennaux, l’économie chinoise s’est d’abord orientée vers le développement de capacités de production pour les secteurs de base de l’industrie, en particulier la sidérurgie, le ciment et les produits chimiques. La constitution progressive d’entreprises d’état (SOE ou State-Owned Entreprises), associée à différents mécanismes de subventions liés notamment au couple faible consommation des ménages / abondance de l’épargne privée, a conduit à la création de nombreuses surcapacités en matière industrielle.
Malgré l’accession de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001, cette situation n’a pas évolué.
La politique industrielle chinoise a pris un nouveau tournant dans les années 2010, avec un souhait de rattraper son retard technologique, au bénéfice d’entreprises publiques ou privées. Le Plan Made In China 2025 (MiC 2025) adopté en 2015 est l’un des instruments qui a été utilisé pour développer un certain nombre de secteurs industriels, dont certains sont dans le champ des industries mécaniques : IT, machines et robotique, aviation civile, véhicules électriques, machinisme agricole…
Plus généralement, les fondements de la politique industrielle sont les suivants :
- Un facteur « quantitatif » : une accumulation accélérée des facteurs de production (capital, capital humain, connaissances et développement technologique)
- Un facteur « prix » : bas coûts des facteurs de production (travail, rendement du capital, coût de la dette, énergie, foncier, matières premières…)
- Un facteur « marché » : un marché intérieur ultra-compétitif qui stimule les gains de productivité, avec des effets d’échelle et une « densification » des chaînes de valeur
- Un facteur « réglementaire » : absence de convergence des normes sociales (droit du travail) et environnementales
Ces différents facteurs ont généré ou continuent de générer des distorsions économiques et des surcapacités de production dans l’ensemble de l’industrie, l’investissement représentant de l’ordre 40% de la demande intérieure chinoise, sur une longue période (2000-2024).
Plusieurs sources en témoignent.
Dans le cadre de la mise en œuvre des instruments de défense commerciale, l’Union Européenne publie régulièrement un rapport2 sur les « distorsions significatives » de l’économie chinoise. Ce document conclue notamment que « This system [l’économie socialiste de marché chinoise] does not prioritise and often does not result in market-based resource allocations ».
Le Fonds Monétaire International (FMI) a publié en 2024 un article3 sur les subventions chinoises à l’économie, qui montre que les industries mécaniques chinoises, en agrégeant produits métalliques et machines, sont le secteur industriel le plus subventionné.
En 2019, le Center for Strategic and International Studies estimait quant à lui que les subventions à l’économie chinoise représentaient entre 1,8 (estimation basse) et 5% (estimation haute) du PIB, à comparer aux 0,4 / 0,5% des économies des pays membres de l’OCDE.
L’United States Trade Representative américain (USTR), directement rattaché au président des Etats-Unis, publie régulièrement un rapport4 sur le respect par la Chine des règles de l’OMC. Dans son édition publiée en 2024, il est indiqué : « As has been previously documented, China has a long record of violating, disregarding and evading existing WTO rules […] In addition, and more critically, after more than two decades of WTO membership, China still embraces a state-led, non-market approach to the economy and trade, despite other WTO Members’ expectations that China would transform its economy and pursue the open, market-oriented approach endorsed by the WTO ».
Enfin, le Mercator Institute for China Studies (MERICS) a publié en avril 2025 un rapport5 qui fait le point sur les différents facteurs (surinvestissement, surcapacité et surproduction) générant des distorsions économiques dans quatre secteurs emblématiques (sidérurgie, automobiles – y compris les composants -, semiconducteurs et électrolyseurs). Le rapport identifie par ailleurs des risques à court et à moyen terme de surcapacités pour les secteurs des machines industrielles (y compris les composants) et des dispositifs médicaux.
Sur ce dernier point, il convient de noter que le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information chinois (MIIT) vient de lancer un programme6 relatif aux usines intelligentes, basé techniquement sur les Lignes directrices de référence pour les scénarios typiques de fabrication intelligente d’avril 20257 . Ce programme bénéficie de la mobilisation de l’ensemble des acteurs financiers chinois8 , afin notamment de « soutenir l’amélioration des capacités d’innovation industrielle, scientifique et technologique et la résilience des chaînes industrielles et d’approvisionnement » et de « renforcer la coordination et le lien entre la politique financière et la politique industrielle ». Le MIIT a par ailleurs publié le 2 juillet 2025 un Plan de mise en œuvre de la transformation numérique de l’industrie mécanique9 , qui précise des objectifs en matière de déploiement de l’IA, de partage des données sur la chaîne de valeur industrielle et logistique, de développement de normes en matière digitale…
Cette situation de surcapacités industrielles conduit les entreprises chinoises à exporter, notamment vers l’Union Européenne, à des prix pouvant être considérés comme faisant l’objet d’un dumping. Plusieurs entreprises du secteur des industries mécaniques (robotique, contrepoids pour les engins de travaux publics, matériel de soudage…) font état de prix pratiqués inférieurs de 30 à 70% par rapport aux prix de marché dans l’Union Européenne. En termes de coûts de production, nous disposons d’un exemple précis pour des produits identiques fabriqués en France et en Chine : le différentiel de coût de production est de 38%. Sachant que le coût de transport entre la Chine et l’Europe est de l’ordre de 8%, le différentiel de coût pour ces produits proposés à la vente dans l’UE est de 30%. Sachant que les salaires français représentent approximativement 30% du prix de vente, il n’est pas possible, pour un site de production français, d’être compétitif.
Ces exportations se font par ailleurs de plus en plus par l’intermédiaire de plateformes du type Temu, rendant ainsi l’accès à ces produits très aisé, que ce soit auprès des consommateurs ou des entreprises.
La Chine dispose donc aujourd’hui d’une industrie compétitive mais dont les fondements ne sont pas conformes aux règles du commerce international définies par l’OMC.
Accès restreint au marché américain et risque de « trade diversion »
La quasi-fermeture du marché américain, notamment aux marchandises chinoises, a créé un risque majeur de « trade diversion » des produits chinois vers l’Union Européenne. Des mesures de surveillance ont été mises en place par la Commission.
Il convient de noter que ce risque peut aussi se matérialiser par un surplus d’exportations chinoises vers des pays tiers, limitant ainsi les capacités d’exportation européennes vers ces pays.
La Note de Position de la FIM « Mesures douanières américaines » fait le point sur cette question, en particulier pour la mesure américaine concernant l’acier, l’aluminium et les « produits dérivés », et demande des mesures de sauvegarde.
Limites des instruments de défense commerciale actuels
Les instruments de défense commerciale actuels ne nous semblent plus adaptés pour traiter un risque systémique comme celui posé par l’économie chinoise.
En effet, ces mesures sont en général limitées à quelques codes douaniers, ne permettant pas de traiter une chaîne de valeur complète ou le caractère systémique du dumping ou des subventions.
Par ailleurs, la mise en place des mesures antidumping et antisubventions, dont la charge de la preuve pèse sur les entreprises européennes, est longue (enquête de l’ordre de 8 à 12 mois) et coûteuse (frais d’avocat de l’ordre de 1 M€, sans compter le temps passé par l’entreprise pour récolter et traiter des données économiques). Les entreprises de notre secteur, majoritairement des PME, hésitent de ce fait à porter plainte auprès de la Commission Européenne.
Demandes de la FIM
Dans ce contexte, la FIM demande aux pouvoirs publics français et à la Commission Européenne de prendre les mesures suivantes, afin de garantir des règles du jeu équitables (« level-playing field ») en matière de commerce avec la Chine :
- Instruments de défense commerciale
o Mise en place de mesures de sauvegarde pour les produits relevant des industries mécaniques, afin d’atténuer le risque de « trade diversion » et les effets négatifs des surcapacités chinoises.
o En matière d’antidumping et d’antisubventions, généralisation de l’initiation des enquêtes par la Commission Européenne (procédure ex officio), afin de limiter l’impact financier pour les entreprises déjà soumises à une concurrence déloyale.
o Renforcement du cadre des instruments de défense commerciale, notamment en inversant la charge de la preuve pour les pays qui présentent des distorsions significatives (voir critères à l’article 2.6 bis b) du Règlement 2016/1036 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non-membres de l'Union européenne).
- Politique industrielle et compétitivité
o Amélioration de la compétitivité des entreprises, notamment au travers de la suppression de nombreuses charges administratives (exemple : obligations de reporting en matière de durabilité), de l’allègement de la fiscalité (exemple : impôts de production), d’une politique industrielle permettant de maîtriser les coûts des intrants du secteur (acier, aluminium, électricité…) et du support au développement des technologies avancées en matière de biens d’équipement.
Notes de bas de page :
1 Commission Staff Working Document accompanying the 43rd annual Report from the Commission to European Parliament and the Council on the EU’s Anti-Dumping, Anti-Subsidy and Safeguard activities and the Use of trade defence instruments by Third Countries targeting the EU
2 Document de travail des services de la Commission sur les distorsions significatives de l’économie de la République populaire de Chine aux fins d’enquêtes en matière de défense commerciale (2024)
3 Trade Implications of China's Subsidies – FMI 08/2024 - Lorenzo Rotunno et Michele Ruta
4 2023 Report to Congress on China’s WTO compliance - USTR
5 Beyond overcapacity: Chinese-style modernization and the clash of economic models – MERICS – Jacob Gunter et al.
6 Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information chinois (MIIT) – 2025 – Avis 251
7 Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information chinois (MIIT) – 2025 – Avis 155
8 Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information chinois (MIIT) – 2025 – Avis 158
9 Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information chinois (MIIT) – 2025 – Avis 152
A télécharger
Note de position FIM - Commerce avec la Chine.pdf
Contact
Benjamin FRUGIER - bfrugier@fimeca.org