12 avril 2022

Position de la FIM sur le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières

Introduction

La Fédération des Industries Mécaniques partage les ambitions de la Commission Européenne et de la France, dans le contexte de l’adoption et de la mise en œuvre du Pacte vert (« Green Deal ») visant à la neutralité carbone en 2050 et du Paquet législatif « Fit for 55 » de juillet 2021.

Les industries mécaniques jouent en effet depuis longtemps un rôle de premier plan dans la transition écologique, en particulier dans la mesure où elles fournissent à l’ensemble des secteurs industriels des solutions améliorant non seulement la compétitivité de leur outil de production mais aussi sa performance environnementale (efficacité énergétique, réduction de la consommation d’eau, réduction de l’empreinte carbone...).

La demande des secteurs aval (agroalimentaire, automobile, construction, énergie, aéronautique…) en composants mécaniques et en biens d’équipements innovants et ayant une faible empreinte carbone (fabrication et utilisation) va continuer d’augmenter au sein de l’UE mais aussi au niveau mondial, dans la perspective de la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Par ailleurs, la FIM considère que maintenir des capacités de production en France a aussi des effets favorables non seulement sur le climat, en particulier du fait de la faible empreinte carbone de l’économie française par rapport à d’autres pays de l’UE ou d’autres zones économiques (Amérique du Nord, Chine, Inde…), mais aussi sur l’emploi et la fiscalité. Le secteur de l’industrie est en effet caractérisé par des emplois directs et indirects à forte valeur ajoutée, contributeurs de la protection sociale et des finances locales et nationales.

En ce qui concerne la réduction de l’empreinte carbone de certains secteurs industriels (secteurs de l’acier, de l’aluminium, des engrais, du ciment et de l’électricité), la Commission Européenne a choisi de réduire progressivement l’allocation de quotas gratuits pour les producteurs européens, dans le cadre de la révision de la Directive 2003/87 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et, en contrepartie, de mettre en place, pour les producteurs hors-UE, un Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), afin notamment d’assurer la compatibilité de ces mesures avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Impact pour les industries mécaniques

La FIM considère que ce double mécanisme va affecter gravement la compétitivité des secteurs avals, en particulier les industries mécaniques, du fait de la hausse des prix de l’acier et de l’aluminium, et ainsi augmenter les « fuites carbone » pour ces secteurs, c’est-à-dire des délocalisations d’activités industrielles en dehors de l’UE. De façon concrète, il favorise l’importation de produits mécaniciens en lieu et place de la fabrication de ces produits en France ou en Europe, au détriment de notre secteur.

Ces délocalisations d’activités vont s’accompagner de pertes d’emploi en France et d’un transfert d’émissions de gaz à effet de serre vers des pays ayant un appareil productif plus carboné, rendant l’impact environnemental de ces mesures très incertain voire négatif. Une étude (non publiée mais répliquée par la FIM) de la Direction Générale des Entreprises du Ministère de l'industrie montre que 3 000 entreprises françaises intégrant de l’acier et de l’aluminium seraient ainsi menacées.

En pratique, les entreprises de la mécanique confrontées à ces hausses de prix devraient choisir entre deux maux :

  • Diminuer leurs marges pour rester compétitif par rapport aux concurrents extra-européens non soumis à ces mesures
  • Perdre des parts de marché vis-à-vis de concurrents de fait plus compétitifs, au sein du marché intérieur de l’UE mais aussi à l’export

Il résulterait dans les deux cas des pertes d’emploi et de savoir-faire sur le territoire national (effet inverse à la volonté de réindustrialiser), des transferts de valeur ajoutée hors de France et une augmentation du déficit commercial.

Dans l’hypothèse d’un prix du CO2 à 100 €/tonne, des simulations réalisées auprès d’un échantillon d’entreprises mécaniciennes montrent des impacts différenciés en fonction des produits mais toujours significatifs, avec des pertes de résultats (Excédent Brut d’Exploitation) entre 5% et 65%. Les délocalisations de production, qui concernaient jusqu’à présent des produits à faible valeur ajoutée, s’étendraient désormais à des produits à plus forte valeur ajoutée.

Mesures attendues

Dans un marché de l’acier et de l’aluminium déjà fortement perturbé depuis 18 mois par l’augmentation du prix des matières premières et des délais d’approvisionnement et par des mesures réglementaires (mesures de sauvegarde sur l’acier), la FIM soutient les mesures suivantes :

  • Une analyse d’impact détaillée devrait être réalisée pour évaluer les impacts sur les secteurs aval de la suppression de l’allocation de quotas gratuits et de la mise en œuvre du MACF. Sur cette base, afin de limiter les distorsions de concurrence pour les secteurs aval, la FIM pourrait soutenir le principe d’une nouvelle mesure législative qui généraliserait le MACF aux produits intégrant de l’acier et de l’aluminium. A défaut, des mesures de compensation devraient être mises en place pour protéger ces secteurs. Cette analyse d’impact devrait par ailleurs évaluer de façon détaillée les impacts environnementaux.
  • Plus généralement, la FIM considère que les mesures législatives applicables aux entreprises européennes et dont l’objectif est de décarboner l’économie devraient avoir des effets équivalents en termes environnementaux et économiques sur les biens importés. Ces mesures devraient aussi avoir une portée générale et prendre en compte les chaînes de valeur, afin notamment d’éviter des « fuites carbone » pour les secteurs qui ne seraient pas soumis directement à ces mesures.

L’annexe au présent document présente un certain nombre de données économiques et environnementales, qui permettent de documenter la position de la FIM.

Annexe

Une corrélation entre la hausse des émissions importées et la baisse de la part de l’industrie dans le PIB

Selon le graphique suivant, on constate que, sur la période 1990-2018, la réduction des émissions domestiques de gaz à effet de serre (GES) par habitant s’est accompagnée d’une hausse des émissions importées, l’empreinte carbone totale (toujours par habitant) étant globalement stable dans le temps. Il apparaît aussi que la hausse des émissions importées est corrélée à la baisse de la part de l’industrie dans le PIB français.

La décarbonation en France s’est donc accompagnée de la délocalisation d’activités industrielles mais aussi de la délocalisation d’émissions de gaz à effet de serre, pour un bilan environnemental globalement nul (raisonnement sur les émissions par habitant).

Une économie déjà largement décarbonée et en avance sur les autres grandes zones économiques

Le changement de paradigme économique, qui vise à réduire drastiquement l’empreinte environnementale et l’empreinte carbone de l’industrie est en cours depuis de nombreuses années. En effet, par rapport à 1990, les émissions de l’industrie, en 2018, sont en forte baisse dans l’UE (- 40 %) et en France (- 48 %), dans un contexte où l’industrie et la construction ne représentent que 14% des émissions totales de l’UE (13% en France), en lien avec l’utilisation d’énergie. Cette baisse des émissions de CO2 dans l’industrie s’explique essentiellement par une amélioration des procédés de fabrication, notamment en termes d’efficacité énergétique.

Dans le même ordre d’idée, la quantité de CO2 émise par unité de PIB décroit fortement dans le monde depuis les années 1990, l’UE et la France étant depuis longtemps à des niveaux très faibles par rapport aux autres zones géographiques, notamment les Etats-Unis, la Chine et l’Inde :

Mise en œuvre du Green Deal : une augmentation des écarts de compétitivité

Dans ce contexte de diminution historique des émissions de gaz à effet de serre, la Commission Européenne a choisi de renforcer sa stratégie, en adoptant en décembre 2019 le Pacte vert pour l’Europe (« Green Deal »), avec pour ambition de devenir « le premier continent neutre pour le climat » à l’horizon 2050.

Cette initiative, qui contient des mesures dans différents champs (énergie, alimentation, substances, transports…), a aussi pour objectif de transformer l’Union Européenne « en une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, garantissant […] une croissance économique dissociée de l’utilisation des ressources, où personne n’est laissé de côté ». L’objectif intermédiaire de réduction des émissions de GES en 2030, passe de -40% à – 55%, par rapport aux niveaux de 1990.

Des propositions de mesures législatives ont été adoptées en juillet 2021 par la Commission Européenne, au travers du Paquet « Fit for 55 ». A titre d’exemple, on peut citer les mesures suivantes :

  • Réforme du Système d’échange de quotas d’émission, avec une suppression progressive des quotas gratuits alloués à certains secteurs et une extension au transport maritime, au transport routier et aux bâtiments
  • Révision de la Directive sur la taxation de l’énergie
  • Nouveau Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)
  • Renforcement des normes de performance des véhicules légers en matière d’émissions de CO2 (zéro émission des voitures neuves d’ici à 2035)
  • Révision de la Directive sur l’efficacité énergétique

Cette accélération de la mise en œuvre de la stratégie de l’Union Européenne sans équivalent dans le monde va augmenter l’écart de compétitivité avec les autres grandes zones économiques (Amérique du Nord, Chine, Inde…), notamment parce qu’elle réglemente l’activité industrielle localisée dans l’UE, et pas la consommation, liée pour une grande part à des importations.

Il convient aussi de noter que plus les émissions sont faibles, plus le coût marginal de décarbonation augmente. Cette tendance va contribuer à l’accélération des délocalisations (emploi et émissions de GES) car les baisses à venir vont devoir s’accompagner d’investissements massifs, financés soit directement par les entreprises (fonds propres) soit indirectement, par l’impôt.

Impact de la suppression de l’allocation de quotas gratuits et de la mise en œuvre du MACF

La mise en œuvre de la réduction progressive de l’allocation de quotas gratuits et du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières va renchérir l’acier et l’aluminium pour le secteur des industries mécaniques, quel que soit leur provenance :

  • Si l’acier (ou l’aluminium) est fabriqué dans l’UE, les producteurs vont devoir payer les quotas CO2 qui étaient auparavant gratuits et/ou investir dans la décarbonation de leurs procédés
  • Si l’acier (ou l’aluminium) est fabriqué en dehors de l’UE, les producteurs vont devoir payer des certificats MACF

Une étude interne (réplique d’une étude de la DGE) basée sur les critères économiques utilisés dans le cadre des mesures de compensation (impact sur la Valeur Ajoutée et Intensité des échanges supérieure) montre qu’une vingtaine de familles de produits, dont la plupart mécaniciens, seraient concernés par des fuites carbone. On peut citer en particulier les éléments de fixation, les pièces métalliques, le matériel de levage et de manutention, le machinisme agricole, les pompes et compresseurs, les machines pour l’extraction et la construction...

3 000 entreprises françaises seraient concernées par un risque de délocalisation du fait du MACF. Il résulterait des pertes d’emploi et de savoir-faire sur le territoire national, des transferts de valeur ajoutée hors de France et une augmentation du déficit commercial.

Ces délocalisations d’emploi seraient accompagnées de délocalisation d’émission des GES, rendant le bilan environnemental très incertain.

 

Sources des illustrations : Data Lab Climat du Ministère de la transition écologique - 2021 / Sossier INSEE - Une analyse de lMinistère de la transition écologique - 2021a baisse des émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie en France depuis 1990 - Mathieu Écoiffier

 

 

A télécharger

Note de position FIM - MACF.pdf

Contact

Benjamin FRUGIER - 01 47 17 60 20 - bfrugier@fimeca.org

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