Matières premières : peut-on répercuter les hausses de prix et délais ?
On constate actuellement une remontée importante des prix d’achat des matières premières, notamment des aciers – qui est due à la reprise d’activité, en Chine notamment.
Il en résulte une hausse du coût de revient de fabrication des produits de nos industries – en particulier, bien sûr, ceux pour lesquels la matière représente une part importante. Cette note fait un point des moyens juridiques dont disposent les entreprises qui entendent réviser le prix de vente de leurs produits, du fait de la hausse du coût des matières qu’elles intègrent.
On déplore également, dans certains cas, des délais supplémentaires de livraison pour les approvisionnements de matières. Nous faisons également un point sur ce sujet, en termes de conséquences à l’égard des clients.
Prix ponctuel sur devis, intangibilité du prix, clause d'indexation
Les offres et devis. Si on n’est pas lié par un engagement de prix sur une durée, ils sont convenus ponctuellement à chaque affaire. On sera libre du prix proposé dans les offres et devis. Le risque de fluctuation des coûts est donc limité. L’article 1117 du Code civil prévoit que « L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable. » On recommande d’indiquer sur le devis qu’il est valable pour telle durée – exemple un mois ou deux mois – mais ce peut être plus court, en cas de fort risque d’instabilité des prix des matières ou composants. Les conditions générales de vente peuvent prévoir un délai de principe applicable par défaut.
Le prix ferme est en principe intangible, sauf mention différente. Une fois le devis accepté et la commande passée, le prix est en principe ferme et on ne peut plus le remettre en cause – ou le cas échéant après l’accusé de réception ou acceptation de commande, que de nombreux fournisseurs pratiquent, ce qui est prudent. Les documents contractuels prévoient parfois expressément que le prix est ferme et non révisable.
La clause d’indexation. S’il y a engagement sur un prix pour une période longue, on aura été prudent d’y faire introduire une clause d’indexation, dont la formule prendra en compte un ou plusieurs indices : de main d’œuvre et/ou de prestations et/ou de matières. La situation est alors simple : il suffira d’appliquer la clause d’indexation. A noter que le service statistiques économiques de la FIM publie des indices économiques, notamment de matières.
L’imprévision
Le moyen juridique de revoir le prix en l’absence d’une clause d’indexation, c’est l’imprévision. Elle permet d’imposer au client une renégociation du prix en cas de modification importante et imprévisible des conditions économiques.
L’enjeu est plus fort dans des contrats longs, de ce fait plus exposés aux changements des conditions économiques.
L’imprévision est-elle automatique ? Dans la loi française elle est de droit, mais une clause de contrat peut l’écarter. Il n’est donc pas besoin d’une clause pour l’appliquer, mais une clause peut l’écarter. Cette exclusion – que l’on voit dans la plupart des CGA – doit être consentie par le fournisseur et ne doit pas être imposée, à peine d’être considérée comme une pratique abusive. Au lieu d’exclure l’imprévision, le contrat peut aussi l’aménager.
L’imprévision est une notion très présente au plan international (anglais « hardship »), mais dans le doute sur le contenu des lois nationales, on ne sera certain de son existence que si le contrat la prévoit.
Une hausse des matières est-elle un « changement de circonstances imprévisible » ? Toute hausse de coût ne remplit pas cette condition, il faut qu’elle soit surprenante dans sa survenance ou dans son ampleur. Ex. : on ne s’attendait pas à une hausse, ou pas si forte, ou pas aussi soudaine. La loi ne fixe pas de seuil en termes de taux de surcoût (un seuil de 1/15e existe dans les marchés publics, mais rien de tel dans les marchés privés). Il faut une hausse importante - pas nécessairement jusqu’à provoquer la vente à perte (dans la loi française, seule la revente à perte est interdite, à savoir la revente d’un produit en l’état sans transformation, en-dessous du prix d’achat).
En pratique, pour faire jouer l’imprévision, on invoquera l’article 1195 du Code civil, le cas échéant la clause du contrat, en demandant au client une révision du prix, en justifiant en quoi les conditions de l’imprévision sont réunies.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, cette loi française permet de demander au juge qu’il révise le contrat ou qu’il le résilie (résolution) – les législations d’autres pays ne prévoiront pas nécessairement cette possibilité.
La force majeure ressemble un peu à l’imprévision puisqu’elle suppose un événement imprévisible, mais son effet est de rendre impossible l’exécution des engagements, alors que dans l’imprévision elle est seulement plus onéreuse.
« Article 1195 du Code civil - Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »
Retards de livraison
La situation actuelle conduit également à des tensions sur les délais d’approvisionnements de matières premières, qui ont tendance à s’allonger, ce qui peut conduire à des retards dans les livraisons aux clients de produits manufacturés.
- Que ce soit en amont vis-à-vis du fournisseur de matière, ou en aval, en termes de répercussions sur les clients, la première question est celle de la nature - ferme ou indicative - des délais. En principe un délai convenu est ferme, mais parfois le contrat ou les conditions générales de vente prévoient que les délais sont indicatifs, et donc qu’ils procéderaient d’une obligation de moyens et non de résultat.
- Se pose la question d’une exonération pour force majeure. Il faut un événement extérieur : c’est le cas d’une difficulté d’approvisionnement, mais également imprévisible : qui ne pouvait être raisonnablement prévu au moment où on s’est engagé. Elle autorise une suspension des obligations (le report des délais) voire une résiliation en cas de pénurie totale. La difficulté d’approvisionnement actuelle est-elle un cas de force majeure ? Ceci peut se défendre, mais il faudra argumenter en ce sens. Il y a une autre condition : l’impossibilité d’en éviter les effets : mais, a priori, le client ne peut pas reprocher à un fabricant de n’avoir pas stocké de la matière, à moins qu’il ait pris un engagement contractuel en ce sens à l’égard du client.
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